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Presse et médias

TRIBUNE DE BENOIT HUET DANS LE JOURNAL LE MONDE : « LA LIBERTÉ D’EXPRESSION AU DÉFI DES FAKE NEWS »

par 25 août 2017décembre 16th, 2020Aucun commentaire

Dans une tribune pour « Le Monde », Benoit Huet estime qu’inventer des outils législatifs pour contrer la diffusion des fausses nouvelles risque de créer des dispositions liberticides. Seule une implication de la société civile permettrait une régulation plus objective des flux d’informations.

La liberté d’expression au défi des fake news

LE MONDE | 25.08.2017 à 07h00 • Mis à jour le 25.08.2017 à 17h28 |

Par Benoit Huet (Avocat au barreau de Paris et enseignant à l’Essec)

 

TRIBUNE. La langue anglaise désigne la calomnie par le mot « libel », terme issu du français « libelle », qui renvoyait sous l’Ancien Régime à de petits livres pamphlétaires, souvent écrits sous des pseudonymes pour moquer ou diffamer. La plus célèbre victime des libelles fut certainement Marie-Antoinette qui fut qualifiée de « prostituée babylonienne », et accusée d’avoir commis des actes incestueux sur son enfant, guidée par sa « diabolique lubricité ». Deux siècles plus tard, au coeur de la campagne présidentielle américaine, un article abondamment partagé sur les réseaux sociaux affirmait avec un aplomb similaire qu’Hillary Clinton animait un réseau pédophile depuis un restaurant de Washington.

La diffusion volontaire de fausses informations par voie de presse n’est en rien un phénomène nouveau, et Voltaire soulignait déjà dans ses OEuvres poétiques que « les honnêtes gens qui pensent sont critiques, les malins sont satiriques, les pervers font des libelles ». Notre époque se singularise toutefois par l’abondance de ces fausses informations, leur rapidité de circulation, et l’audience qu’elles touchent – chaque mois deux milliards de personnes utilisent Facebook. Peu importe sa véracité, la nouvelle est mesurée à l’aune de sa viralité, mot issu du latin « virus » (suc, humeur, venin, poison) et que s’est paradoxalement approprié la société marchande en dépit de son caractère péjoratif (marketing viral).

« Peu importe sa véracité, la nouvelle est mesurée à l’aune de sa viralité ».

La fausse nouvelle du XXIe siècle a la particularité d’être guidée par une double motivation économique et politique. Il s’agit tout autant de trouver une résonance électorale que d’obtenir une rétribution financière, la première alimentant la seconde grâce aux revenus publicitaires. Dire que le pape soutient le candidat républicain à l’élection américaine de 2016, ou dire que l’Arabie saoudite finance le futur vainqueur de l’élection française en 2017, permet de générer de l’audience, et donc de vendre des espaces publicitaires.

La désinformation est ainsi devenue un moyen de subsistance accessible à tout un chacun. Ce phénomène ne manque pas d’interroger sur les outils offerts par notre droit pour empêcher la diffusion de certaines publications. Une partie des informations fausses publiées sur les réseaux sociaux peuvent classiquement être poursuivies sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Certaines relèvent de l’injure (terme de mépris ou invective), d’autres de la diffamation (imputation d’un fait attentatoire à l’honneur et à la considération d’une personne). Affirmer que la Terre est plate ou que le réchauffement climatique n’existe pas, n’est toutefois ni injurieux ni diffamatoire, c’est tout simplement faux. Et fort heureusement, le droit français ne permet pas de faire condamner une personne en justice pour avoir publié un propos simplement erroné ou mensonger. N’importe quelle erreur factuelle deviendrait sujette à poursuite, et la liberté d’expression s’en verrait drastiquement réduite.

Le droit français n’interdit ainsi la publication de fausses nouvelles que dans une série de situations spécifiques. Il s’agit notamment de la diffusion de fausses informations dans le but de faire croire à un attentat (art. 322-14 du code pénal), de compromettre la sécurité d’un avion en vol (art. 224-8 du code pénal), ou encore d’influer sur le cours en Bourse d’une société (art. 495-3-2 du code monétaire et financier).

Dans la même logique, on comprend aisément que la diffusion de fausses nouvelles est interdite dans le contexte d’une élection. Dès lors que les prétendues nouvelles « auront surpris ou détourné des suffrages » (art. L97 du code électoral), leur auteur s’expose à une peine d’emprisonnement. C’est le fondement juridique qu’a d’ailleurs choisi le candidat de la droite à l’élection présidentielle française de 2017 pour porter plainte à la suite des enquêtes publiées dans Le Canard enchaîné.

Risque de dispositions liberticides

Enfin et au plus proche du phénomène des fake news, la loi sanctionne la publication et la diffusion de fausses nouvelles susceptibles de « troubler la paix publique » (art.27 de la loi du 29 juillet 1881). Un journaliste français avait notamment été condamné sur ce fondement en 2000 pour avoir publié un photoreportage – inventé de toutes pièces – dans lequel des policiers se faisaient jeter dessus un (faux) réfrigérateur du haut d’un immeuble de banlieue parisienne. Des troubles avaient éclaté, le procureur avait engagé des poursuites, et le journaliste avait admis qu’il s’agissait d’une mise en scène. Le tribunal le condamna à une forte amende estimant que ce procédé était de nature à jeter le discrédit sur le travail de la presse, et à susciter la méfiance de la population. Des griefs qui pourraient être formulés contre bien des articles publiés sur les réseaux sociaux (photos et vidéos truquées, sorties de leur contexte, postdatées, etc.).

Poursuivre les auteurs de fausses nouvelles est donc possible. Les lois existent, et il ne semble pas nécessaire d’en inventer de nouvelles. Le risque de créer des dispositions liberticides semble en effet infiniment plus grand que l’opportunité d’améliorer les lois actuelles. Reste que les condamnations sont quasi inexistantes et qu’un légitime sentiment d’impunité prédomine.

Créer une autorité administrative indépendante

La justice peine à identifier les commanditaires de ces articles souvent signés sous des pseudonymes, et publiés depuis l’étranger. Les tribunaux sont également mal armés pour faire face à cet extraordinaire volume de contenus mensongers. La régulation ne pourra donc venir uniquement de la justice, d’autant plus que le temps judiciaire n’est pas celui de l’actualité. Une tentation alternative serait de demander à l’administration de réguler ce que la justice échoue à contenir. Certains ont ainsi suggéré la création d’une autorité administrative indépendante qui serait aux réseaux sociaux ce que le Conseil supérieur de l’audiovisuel est à la radio ou à la télévision.

Une autorité qui pourrait réprimander Twitter, comme le CSA réprimande C8. Une telle initiative ne semble ni souhaitable ni techniquement réalisable. L’incursion d’une administration, soit-elle indépendante, dans la sphère de la liberté d’expression pose en effet des risques de censure disproportionnés qui nous renverraient très loin en arrière, du temps où l’Etat contrôlait la presse. C’est pour la même raison qu’il n’existe pas d’ordre des journalistes réglementant l’exercice de ce métier.

Une nécessaire refonte des algorithmes

Les solutions sont par conséquent à chercher du côté de ceux qui donnent un écho à ces fausses nouvelles, à savoir les éditeurs de réseaux sociaux eux-mêmes. Ces sociétés s’emploient déjà à retirer de leurs pages les contenus violents, pornographiques ou faisant l’apologie du terrorisme. Ce contrôle est par nature arbitraire et il serait impensable qu’il soit étendu à la véracité des informations diffusées. Les éditeurs de réseaux sociaux se défendent d’ailleurs d’exercer un pouvoir de censure sur leurs pages. Hiérarchiser le contenu, c’est toutefois déjà choisir ce qui sera donné à lire aux utilisateurs. Les algorithmes font apparaître ou disparaître les publications, plus rapidement que le pire comité de censure. A ce jour, ils favorisent surtout les contenus les plus commentés ou partagés par les utilisateurs, à savoir les contenus les plus polémiques, et donc les fake news qui sont précisément créées dans ce but. Un commentaire indiquant qu’une nouvelle est idiote et fausse améliore mécaniquement la visibilité de celle-ci, ce qui n’a aucun sens. 

La régulation des fausses nouvelles passera donc en premier lieu par la refonte des algorithmes, qui devront probablement adjoindre à leur mécanique quantitative une appréciation qualitative fournie par des tiers. On ne doute d’ailleurs pas de la créativité de la société civile pour inventer une régulation plus objective, confiée à des citoyens et à des journalistes indépendants, sur le modèle de ce qui a déjà fait le succès de Wikipédia.